Congés payés : la Cour de cassation poursuit la mise en conformité du droit français avec le droit européen

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Un salarié placé en arrêt maladie pendant ses congés payés a droit au report des jours de congé  dès lors que  son arrêt de travail est notifié à l’employeur

L’article L 3141-3 du Code du travail dispose que le salarié a droit à un congé de 2 jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur. La Cour de cassation jugeait de manière constante que le salarié qui tombe malade au cours de ses congés payés ne pouvait pas exiger de prendre ultérieurement le congé dont il n'avait pu bénéficier du fait de son arrêt de travail, l’employeur s’étant acquitté de son obligation à son égard (Cass. soc. 4-12-1996, n° 93-44907). 

 

La Cour de cassation juge désormais que cette jurisprudence n’est pas conforme au droit de l’Union européenne et vient d’opérer un revirement de jurisprudence.

La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) juge que la finalité du droit au congé annuel payé, qui est de permettre au travailleur de se reposer et de disposer d'une période de détente et de loisirs, est différente de celle du droit au congé de maladie, qui est accordé au travailleur afin qu'il puisse se rétablir d'une maladie (CJUE 20-1-2009, C-350/06 et C-520/06 et CJUE 10-9-2009, C-277/08).


Elle a également déclaré que l'article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4-11-2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à des dispositions nationales prévoyant qu'un travailleur, en incapacité de travail survenue durant la période de congé annuel payé, n'a pas le droit de bénéficier ultérieurement dudit congé annuel coïncidant avec la période d'incapacité de travail (CJUE 21-62012, C-78/11).


Illustration.  Un employeur a obtenu en justice le remboursement par une salariée d’une somme au titre de congés payés indûment rémunérés, mais il a contesté le calcul de cette somme par les juges. Les juges  du fond ont considéré qu’il convenait de déduire du décompte des jours de congés payés pris par la salariée ses jours d'arrêts maladie pendant qu'elle était en congés. Conformément au droit européen, la cour d’appel a considéré que le fait d’être placé en arrêt maladie lors d’un congé payé donnait au salarié le droit de voir son congé reporté. L’employeur a formé un pourvoi.


La Cour de cassation a confirmé la décision des juges du fond. Elle a déclaré qu'il résulte de l'article L 3141-3 du Code du travail, interprété à la lumière de l'article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du 4-11-2003, que le salarié en situation d'arrêt de travail pour cause de maladie survenue durant la période de congé annuel payé a le droit de bénéficier ultérieurement des jours de congé payé coïncidant avec la période d'arrêt de travail pour maladie. C'est donc par une exacte application de la loi que la cour d'appel a retenu que la salariée, qui avait fait l'objet, durant ses périodes de congés payés, d'arrêts de travail pour cause de maladie notifiés à l'employeur, pouvait prétendre au report des jours de congé correspondants, qui ne pouvaient pas être imputés sur son solde de congés payés (Cass. soc. 10-9-2025, n° 23-22732).


Ainsi, dès lors qu’un salarié placé en arrêt maladie pendant ses congés payés a notifié à son employeur son arrêt de travail, il a le droit de voir ces congés reportés.

 

Lorsque le temps de travail du salarié est décompté à la semaine, les congés payés sont désormais pris en compte pour le seuil de déclenchement des heures supplémentaires

Selon l’article L 3121-28 du Code du travail, toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.


En application de cet article, la Cour de cassation jugeait, jusqu’à présent, que les jours de congés payés ne pouvaient être pris en compte, à défaut de dispositions légales ou conventionnelles ou d'un usage contraires, pour la détermination des heures supplémentaires (Cass. soc. 1-12-2004, n° 02-21304, Cass. soc. 9-2-2011, n° 09-42939 et Cass. soc. 4-4-2012, n° 10-10701).


Ainsi, en droit français, le calcul du seuil de déclenchement des heures supplémentaires ne tient compte que du temps de travail effectif, les jours de congé payé ou de maladie sont exclus de ce calcul.

 

La Cour de cassation juge désormais que cette règle et sa jurisprudence ne sont pas conformes au droit de l’Union européenne et opère un revirement de jurisprudence.

Selon la CJUE, l'obtention de la rémunération ordinaire durant la période de congé annuel payé vise à permettre au travailleur de prendre effectivement les jours de congé auxquels il a droit (CJUE 16-3-2006, C-131/04 et C-257/04, CJUE 13-12-2018). Les incitations à renoncer au congé de repos sont incompatibles avec les objectifs du droit au congé annuel payé dont la finalité est de garantir au travailleur le bénéfice d'un repos effectif, dans un souci de protection efficace de sa sécurité et de sa santé. Donc, toute pratique ou omission d'un employeur ayant un effet potentiellement dissuasif sur la prise du congé annuel par un travailleur est également incompatible avec la finalité du droit au congé annuel payé (CJUE 6-11-2018, C-619/16). C’est notamment le cas si le travailleur est dissuadé d'exercer son droit au congé annuel compte tenu d'un désavantage financier, même si celui-ci intervient de façon différée, à savoir au cours de la période suivant celle du congé annuel (CJUE 22-5-2014, C-539/12).


La CJUE a déclaré que l'article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du 4-11-2003, lu à la lumière de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’UE sur le droit au repos, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une disposition d'une convention collective en vertu de laquelle, afin de déterminer si le seuil des heures travaillées donnant droit à majoration pour heures supplémentaires est atteint, les heures correspondant à la période de congé annuel payé pris par le travailleur ne sont pas prises en compte en tant qu'heures de travail accomplies (CJUE 13-1-2022, C-514/20).

En cas d'impossibilité d'interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive 2003/88 et l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux, la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée. Cette obligation s'impose à la juridiction nationale en vertu de ces deux dispositions lorsque le litige oppose un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité d'autorité publique ou à un employeur ayant la qualité de particulier (CJUE 6-11-2018, C569/16 et C-570/16).

 

Revirement de jurisprudence de la Cour de cassation. Désormais, la Cour de cassation juge que lorsqu’un litige oppose un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée la réglementation nationale.

  

Illustration. Trois salariés soumis à un forfait en heures sur une base hebdomadaire de 38 h 30 en vertu de l'accord collectif du 22-6-1999, relatif à la durée du travail, annexé à la convention collective nationale Syntec, ont contesté ce régime de forfait et saisi le juge prud’homal pour obtenir le paiement de 3,5 heures supplémentaires effectuées chaque semaine et des indemnités de congés payés résultant d'un décompte hebdomadaire de la durée du travail.


En appel, les juges  ont condamné l’employer à payer aux salariés ces heures supplémentaires. Cependant, pour calculer les heures supplémentaires dues, ils ont retenu le contre-chiffrage proposé par l'employeur qui prenait en compte les absences du salarié pendant ses jours de congés payés pour minorer le nombre d'heures supplémentaires et ont déduit du décompte du salarié le nombre d'heures supplémentaires calculées sur les semaines pendant lesquelles le salarié avait pris des jours de congés payés. Ils ont jugé que ces salariés ne pouvaient prétendre avoir effectué 3,5 heures de travail supplémentaires les semaines lors desquelles ils avaient pris un jour de congé payé. Les salariés ont formé un pourvoi en cassation.

 

L’application de l’article L 3121-28 du travail est écartée pour non-conformité au droit européen. La Cour de cassation a censuré la décision des juges.  Elle a déclaré, en application du droit européen, qu’il convient d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L 3121-28 du Code du travail, car elles subordonnent à l'exécution d'un temps de travail effectif les heures prises en compte pour la détermination du seuil de déclenchement des heures supplémentaires applicable à un salarié, soumis à un décompte hebdomadaire de la durée du travail, lorsque celui-ci, pendant la semaine considérée, a été partiellement en situation de congé payé, et de juger que ce salarié peut prétendre au paiement des majorations pour heures supplémentaires qu'il aurait perçues s'il avait travaillé durant toute la semaine.


Constatant que pour limiter à certaines sommes les condamnations de l'employeur à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires et congés payés afférents, les juges avaient retenu le chiffrage proposé par l'employeur qui correspondait, selon le décompte produit, aux sommes revendiquées par les salariés déduction faite des sommes correspondant à l'absence de majoration applicable en cas de semaine incomplète, elle a jugé qu’ils avaient violé les dispositions du droit européen en retenant ce décompte qui excluait les périodes de congés payés de l'assiette de calcul hebdomadaire des heures supplémentaires (Cass. soc. 10-9-2025, nos 23-14455 et 23-14457).


Désormais, les congés payés doivent être pris en compte pour le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Lorsque son temps de travail est décompté à la semaine, le salarié peut obtenir le paiement d’heures supplémentaires même si la prise d’un congé payé l’a conduit à ne pas réaliser 35 h de travail effectif. Un calcul des heures supplémentaires qui ne tient pas compte des jours de congé payé fait perdre au salarié un avantage financier qui peut le dissuader de se reposer.

 

Sources :  Cass. soc. 10-9-2025 n° 23-22732 ; Cass. soc. 10-9-2025, nos 23-14455 et 23-14457


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